12/01/2016
Après les attentats.. Une crise spirituelle du politique.
Par Jérôme Vignon, président des Semaines sociales de France
Etre sidéré : être comme frappé de stupeur, surpris au point de ne savoir comment réagir. En ce sens, le terme de sidération convient bien pour décrire l'état de notre pays à la suite des attentats du 7 janvier 2015. Il convient aussi pour saisir l'état de l'opinion au lendemain du second tour des élections régionales, le 14 décembre. Car il aura fallu dans les deux cas prendre la mesure des déchirements qui nous traversent : comment de jeunes Français ont-ils pu nourrir une telle haine de leur pays ? Comment plus de 6 millions d'électeurs paraissent-ils désormais attachés par conviction à des thèses politiques qui privilégient sans sourciller le repli et la fermeture comme des remèdes à notre atonie ? Bien que clairement distincts, ces deux événements ne sont pas sans liens. Ils attestent l'un et l'autre de la profondeur de nos fractures, loin d'être seulement sociales et témoignent aussi d'un déficit de réactivité des pouvoirs politiques.
Notre stupéfaction ouvre cependant sur une autre question. Pourquoi avons-nous été autant surpris alors que des analyses fréquentes avertissaient des risques de radicalisation parmi les jeunes de culture musulmane et que les progrès durables du Front national ont été amplement documentés ? Plus encore que ces événements de 2015, c'est l'aveuglement du regard porté par notre société sur elle-même qui doit maintenant retenir l'attention. Cette atrophie de la vision reflète une doxa médiatique qui a largement envahi les médias nationaux et contaminé une partie des responsables politiques. En expulsant dans la sphère privée ou en jetant l'opprobre sur ce qui relève du religieux et plus largement de la transcendance, cette doxa ignore l'épaisseur des réalités humaines. Elle s'interdit de comprendre comment un déni de reconnaissance, tout autre chose que l'accès aux droits, peut entraîner le mépris de soi et des autres au point de conduire à une violence radicale. En se fermant aux récits symboliques, elle ne comprend pas davantage pourquoi une fraction notable des électeurs choisit d'entrer en sécession : non par perte de repères, mais parce que les permanences morales auxquelles encore ils tiennent, ce qu'on peut nommer des valeurs, ne semblent plus trouver d'écho dans les hautes sphères de la politique.
Ce dont il faut aussi prendre conscience, comme le souligne le philosophe Paul Thibaud, c'est que la même doxa prive aussi le politique de sa légitimité à incarner l'intérêt général, en lui assignant de plus en plus le rôle subordonné de satisfaire aux exigences infinies des désirs individuels. L'atonie apparente du politique, son repli sur des débats secondaires trouvent là une part de leur origine. En ce sens on peut dire que la crise du politique que soulignent les événements de 2015 est une crise d'ordre spirituel. Spirituelles aussi les ressources qui permettront de la surmonter. Il faudra au politique le courage de dépasser les frontières gauche/droite aujourd'hui si visiblement inadéquates, l'humilité de savoir animer la participation au pouvoir, le goût de reconnaître du vrai et du juste chez l'adversaire, le sens de l'altérité qui permet de rassembler non autour de droits acquis, mais autour des manques et des attentes qui ne peuvent être comblés que par l'apport d'autrui, aussi modeste soit–il. Or ces ressources spirituelles sont disponibles bien plus qu'on ne l'imagine. La gravité des défis dont nous ne percevons encore que les signes pourrait conduire à y puiser la force d'une refondation-recomposition politique précoce.
Parce que la crise du politique revêt cette dimension spirituelle, la société civile, y compris les Églises et les religions comme l'entendait déjà Tocqueville, doit jouer dans son issue un rôle essentiel. Il s'agit pour elles de se préparer à une telle refondation, de l'anticiper par des façons d'être et d'agir ouvertes au dialogue, aux alliances inattendues, à la diversification des responsables afin d'incarner mieux les visages et les cultures d'une France en train de se renouveler.
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