Construire une Europe qui marche....à l’endroit, est-ce possible ?
26/10/2017
ESPOL avait invité, le jeudi 19 octobre 2017, le chef d’orchestre de la 92ème session des Semaines sociales de France pour parler…d’Europe. Accueilli par Alexis Massart, directeur de l’école, Philippe Segretain s’est prêté au format des rencontres du jeudi après-midi pour converser avec une cinquantaine d’étudiants dont une grande majorité d’étudiantes. 90 minutes où il fut question de tout ou presque. Alexis Massart avait prévenu : dans ces rencontres, ni le thème, ni la personnalité de l’invité ne sont des prétextes.
Philippe Segretain n’a pas été dans sa vie professionnelle, stricto sensu un militant de l’Europe, mais un acteur de cette espace mouvant. A l’origine de la création d’une société de transports qui s’est développée à l’échelle européenne, il a été jusqu’à présider le comité européen de l’union internationale des transports. Son job, comme il dit, était de s’assurer qu’il parlait bien au nom de l’ensemble des pays qui comptaient. Un rôle utile de tisserand.
Pour entrer dans le sujet qu’il a choisi d’éclairer, quelle Europe voulons-nous ? (thème de la session 2017 des Semaines sociales), il rappelle d’abord que l’Europe n’est pas réductible à une frontière. Et d’inviter à la table des échanges tous ceux qui ont pris part à cette construction d’une Union européenne. Avant le second conflit mondial, Aristide Briand qui martèle en 1929 qu’entre peuples regroupés doit exister un lien fédéral et solidaire sans toucher à la souveraineté. Denis de Rougemont qui en 1946 suggère que vue de loin, l’Europe est une évidence. Puis Robert Schuman et Jean Monnet qui s’allient dans une vision de génie. Le pragmatisme économique a donné naissance en 1952 à la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) et à la Communauté Economique Européenne (CEE) par le traité de Rome en 1957.
Tout a roulé ensuite, de l’entrée de la Grande-Bretagne en 1973 après référendum, l’acte unique en 1986 établissant la libre circulation, Maastricht en 1992, Amsterdam en 1999 et Nice en 2001…jusqu’au bug de 2005 : la France rejette, avant les Pays-Bas trois jours plus tard, le traité établissant la constitution européenne. En 2004, les Semaines sociales de France choisissent de « réinventer l’Europe » et personne n’imagine le score de mai 2005 : le OUI n’obtient que 45,32% des suffrages et près de 70% des Français ont voté. Le résultat sans appel fait dire à Philippe Segretain, chargé 12 ans plus tard de reprendre le sujet, qu’à l’époque « nous avons certainement voulu réinventer sans comprendre l’incompréhension grandissante ».
Cet échec est devenu comme un fil rouge pour aborder la session de 2017. Depuis 2005, de nombreux événements, du Brexit à l’affaire Catalane, montrent que quelque chose ne tourne pas totalement rond. L’Europe : une affaire d’élites ? En mars 2017 à Versailles, une initiative des chrétiens pour l’Europe (IXE) tentait de remettre les charrues dans l’ordre en rappelant les acquis européens : longue période de paix, autosuffisance alimentaire, protection des consommateurs et des travailleurs avec des règles, solidarité régionale. Par exemple dans notre région, Valenciennes a fait son métro avec les aides européennes (FEDER). Fort de cela, fort du constat des nouveaux rapports de dominant/dominés dans le monde, fort de l’attention portée à l’Afrique, ces chrétiens pour l’Europe se sont mis en quête de scénarios. La session de novembre s’inscrit dans cette démarche de recherche de ce qui n’a donc pas fonctionné pour inverser la tendance.
Car l’Europe est nécessaire. Une nécessité à laquelle prend toute sa part le nouveau Président de la République Française. Le discours prononcé à la Sorbonne montre qu’il souhaite prendre des risques pour une utile remise en questions de ce qu’il considère comme une œuvre majeure de l’histoire humaine. D’ailleurs le thème était au cœur de sa campagne électorale. Philippe Segretain s’est démené pour avoir, le dimanche matin de la session des 18 et 19 novembre prochains, la Ministre aux affaires européennes comme grand témoin de cette nécessité de prendre le sujet à bras le corps. Sylvie Goulard qui a une sacrée expérience de l’Europe a récemment posé une bonne question : est-ce que l’Europe n’a pas pris l’habitude de se dégager des contraintes démocratiques ? Reformulée par Philippe Segretain : Peut-on bâtir une citoyenne européenne sur le simple fait que nous avons des droits européens ? Et une autre étroitement liée fuse : certes le marché commun, c’était l’intuition initiale mais peut-on dire que l’économie suffit ?
D’autant que par-delà les marchés, la géopolitique retrouve ses droits. L’Europe n’est plus aujourd’hui réductible à ce qui a permis son lancement. Beaucoup en conviennent : l’Europe est un espace pertinent mais comme le souligne Hubert Védrine, la souveraineté ne se négocie pas forcément au même endroit.
Mais ce que Philippe Segretain a pu offrir de précieux à ses étudiants du jour, ce sont les confidences d’un Pape venu d’Amérique latine qui n’hésite pas à rappeler à ses hôtes que depuis Magellan, le continent les regarde de loin ces européens. Une distance qui permettrait presque une analyse dont François ne semble pas se priver…en s’appuyant sur Emmanuel Levinas, le philosophe né en Lituanie, qui a fait ses études en Russie puis en Ukraine, avant de rejoindre l’Allemagne puis la France. François cherchant certainement à travers cette évocation à dire l’Europe parlant de Levinas. Pour Philippe Segretain, l’évêque de Rome nous rappelle que l’accueil de l’exclu n’est que l’éthique. « Ouvrir sa porte c’est avoir une demeure, comme vous avez une demeure vous êtes en situation d’ouvrir votre porte ». Et François de se faire encore plus précis : « La grand-mère a vieilli. Il faut retrouver la dynamique qui permettra les intégrations ». Il y a au regard de ce qu’ont pu faire les pères fondateurs une forme d’urgence en termes d’invention politique…
L’échange qui a suivi avec les étudiants a permis de préciser un certain nombre de points : l’impôt au service du bien commun, l’intégration de la diversité des trajectoires, les nouveaux sujets pour arriver à parler politiquement, les rencontres concrètes par-delà les frontières, l’investissement en Afrique fait par la Chine. Et Philippe Segretain qui revient d’un voyage instructif à Riga en Lettonie après avoir passé quelques jours à Berlin dans le cadre d’un voyage apprenant, confie adopter la posture d’un agnostique sur le sujet Européen. Sa seule certitude réside dans le vécu commun et le fait que ce qui réunit les peuples est plus important que ce qui les sépare. Mais le chemin sera encore long. Et de dire aux jeunes : « prenez le pouvoir et exigez des politiques qu’ils le rendent ». Une conclusion que n’aurait pas reniée Eugène Duthoit, fondateur de la première école des sciences sociales et politiques de la Catho en 1894 et qui présida les semaines sociales de 1919 à 1944.
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