Soirée sur les migrations avec Jérôme Vignon
04/05/2016
Voici les éléments partagés, en cette soirée, par le Président Jérôme Vignon :
Dans Saint Matthieu :
« J’étais nu … et vous m’avez vêtu.
J’étais étranger … et vous m’avez accueilli … ».
L’accueil des migrants, des étrangers, des réfugiés, voici une question permanente, une question de tous les temps, un élément de l’élévation de notre existence.
Sentiment de compassion envers les migrants, mais aussi question de leur dignité.
Mais nous avons aussi l’impression d’un débordement, de ne pouvoir y arriver, et également, nous avons un sentiment de sympathie pour nos concitoyens apeurés.
Et nous sommes en l’année de la Miséricorde …
C’est une question européenne qui prend un tour aigu, présente un caractère exceptionnel et donc impressionnant. Cette question n’est pas humainement insurmontable à moyen terme. Elle nécessite quelques éléments de cadrage :
Haut-Commissariat aux Réfugiés, Conventions de Genève : depuis environ 15 ans, des personnes réfugiées ou déplacées, pour atteindre 43 millions en 2015, chiffre en hausse.
La mondialisation a accru la formation, les transports, la communication, la visibilité des écarts de richesses. Et donc ce ne sont pas seulement les guerres et, à terme, le climat et l’environnement qui expliquent ces évolutions.
Les migrations constituent des éléments constants de croissance, de développement, de mondialisation, mais aussi d’interculturalité et d’apprentissage des langues. Les flux, les volumes s’accroissent. Des changements dans les migrations s’opèrent.
Avant la crise, l’afflux net de migrants en Europe était de l’ordre de 1,6 à 1,8 million de personnes, tombé à 1 à 1,2 million, en lien avec la crise économique. Ce solde migratoire net évite, dans nombre de pays européens, les soldes négatifs de population (déclin démographique).
En 2015, 1,2 million de demandeurs d’asile, qui connaissent une menace pour leur intégrité ou pour leur famille là où ils habitent. Ce sont généralement des personnes de qualité élevée, Afghans, Syriens, Erythréens, Soudanais, dont la moitié a exercé des métiers de cadres supérieurs ou dans l’éducation, la santé, la culture ; ils sont les plus chassés par les pouvoirs autoritaires. Pourtant, ils ont des compétences, des projets, des singularités qui ressemblent aux nôtres. On trouve parmi eux, des juristes, des astronautes, des ingénieurs, venant de pays qui souffrent de la guerre ou des révolutions ratées.
De 2014 à 2015, il y a eu afflux massif de demandeurs d’asile, de 600 000 à 1,2 million. Part donc massive de réfugiés et de demandeurs d’asile dans un espace de Schengen harmonisé et où il faut trouver des équilibres.
On passe de 10% à 80 à 100% de la demande migratoire totale, liés à la demande d’asile.
Or, il existe une solidarité européenne dans la responsabilité de l’accueil de l’asile. En fait, 5 pays accueillent 85% des demandeurs d’asile, dont Allemagne, Suède, Pays-Bas, Autriche, France. D’autres pays n’ont jamais accueilli de demandeurs d’asile et n’ont pas d’habitude en la matière (ex. dans les Balkans).
La France n’est pas un pays aisément choisi. Il y a les souhaits des demandeurs d’asile et, par ailleurs, les États sont responsables de l’inscription de la demande d’asile. L’Europe n’est pas dans le désordre ou le chaos à cet égard. On veut conduire un approfondissement de Schengen sur la politique commune de l’asile.
La France a mauvaise réputation, car le marché du travail est peu actif pour des demandeurs d’asile qui veulent travailler et renvoyer de l’argent à leur famille endettée par leur départ. Une demande d’asile est difficile en France. Sur 60 000 demandes, 23 000 reçoivent une réponse positive, dans la patrie des droits de l’homme. La situation s’est dégradée fin des années 90.
La France reçoit beaucoup de Sénégalais et de Maliens. Elle a intégré l’échec de l’intégration des Maghrébins des années 60. Il y a manque de confiance par rapport à ce que nous avons été.
La politique du Ministère de l’Intérieur est d’accroître l’accueil. Des améliorations sensibles sont par ailleurs recherchées en matière d’instruction, d’intégration et d’accueil en CADA, des demandeurs d’asile.
Il faut nous dire que cela va durer des années. Actuellement, on dénombre 5 millions de réfugiés syriens dont 1/10ème en Europe. Les destructions sont par ailleurs tellement massives en Syrie que les retours de la population seront difficiles.
Il nous faut surmonter nos peurs pour utiliser nos atouts. Ce n’est guère démesuré eu égard aux flux nets migratoires en Europe depuis 30 ans.
L’Allemagne y consacre 0,5 point de PIB par an et considère cela comme un investissement pour l’avenir. C’est donc faisable, mais cela constitue un saut qui met à l’épreuve l’opinion publique, mais constitue aussi une démonstration par la réalisation et une contribution à la pacification entre les peuples et entre les populations.
Par nos gestes, nos attitudes, notre confiance, l’exemplarité, nous pouvons donner des signes qu’il est possible d’accueillir les migrants et les demandeurs d’asile.
L’entrée dans le 3ème millénaire a signé un changement qualitatif et à taille humaine dans les phénomènes de migrations.
Pensons aussi à la doctrine chrétienne, à la doctrine sociale de l’Église ; aux propos du Pape François sur l’île de Lampedusa, en Italie, pays particulièrement marqué par l’accueil des migrants et galvanisé par la parole du Pape.
Plus largement …
Toute personne doit avoir le droit de vivre et de travailler dans son pays, mais, s’il y a problèmes, le partage des biens, par ceux qui sont dans la paix, avec ceux qui sont dans la guerre et le besoin, s’impose.
Mais aussi, tous les pays ont le droit de conduire une politique migratoire, dans la limite du bien commun et qui tienne compte du marché du travail, des équipements, du maintien de la cohésion sociale, tout ceci également dans la limite des conventions de Genève.
Les personnes accueillies doivent également respecter les mœurs, coutumes, l’État de droit du pays d’accueil. Cet État de droit est à respecter en tout état de cause ; il constitue un outil.
À propos de la mission confiée par Bernard Cazeneuve, en juillet 2014, à Jérôme Vignon et Jean Aribaud, ancien Préfet, et ayant donné lieu au rapport : « Le pas d’après » …
Quelques éléments à connaître.
Le Secours Catholique du Pas-de-Calais intervient auprès des migrants avec le relais quotidien de 100 bénévoles (pour vestiaire, alimentation, mais aussi l’accompagnement personnalisé des migrants dans le cadre de l’asile en France). Le Secours Catholique est autonome par rapport à l’État français.
Médecins du Monde intervient également à Calais, on ne veut pas « mettre à l’abri », car demeure le souvenir de Sangatte. Pourtant, l’accueil de ces migrants est nécessaire.
Se mettent au travail autour de cette question : les autorités locales et préfectorales, la Maire de Calais, les associations.
Il y a bien appel d’air à Calais. Les flux primaires arrivent en effet aux frontières de Schengen et les flux secondaires sont re-routés à partir de ces frontières.
À Calais, les migrants arrivent du Nord de l’Italie par Vintimille – Lyon – Calais.
Il convient donc d’introduire des flux de sorties à partir de Calais.
De là, il est nécessaire d’améliorer les conditions de l’accueil à Calais. L’État y a bien une stratégie.
À Calais, les actions …
C’est la sécurisation, tout d’abord. Il y a beaucoup de passeurs à Calais et Grande-Synthe. Il faut empêcher les passages, faire savoir que « c’est difficile de passer à Calais ».
La France se comporte bien, de ce point de vue du contrôle des passages, à Calais. Dès lors, les Anglais doivent prendre leur part des demandes d’asile, car nous sommes dans deux États de droit.
Une illustration : les Kurdes Irakiens se sont montrés violents, harcelants ; une opération brutale (la création de la bande des 100 mètres) a été conduite, marquant l’autorité et la sévérité de l’État. Il y a à cela une logique. Il est indispensable de maintenir l’existence d’un État de droit pour les Calaisiens et pour les migrants par rapport à certains passeurs qui exercent une pression élevée.
En aval …
Construction progressive de bungalows, afin d‘offrir plus d’asile à Calais et de donner aux migrants la possibilité d’un répit, d’une protection, ailleurs en France, à travers la centaine de centres d’accueil. 250 personnes sont transférées de Calais vers le reste de la France, dans ces centres d’accueil et d’orientation. Ils y auront quelques mois pour réfléchir à leur projet.
Bien sûr, les consignes et volontés sont parfois mal appliquées et aussi très différentes d’un centre d’accueil et d’orientation à l’autre.
Derrière tout cela, il y a les règlements de Dublin consistant à renvoyer les migrants vers la région du premier accueil (Italie, Grèce, Bulgarie).
Le Ministère de l’Intérieur a fait montre de volonté de maintenir dignité et sécurité dans cette difficile question. Ainsi, malgré les référés des associations contre l’État et la Préfète du Pas-de-Calais, les contacts entre les associations et la Préfète ont été maintenus. C’est au fond une attitude chrétienne.
Le volet international …
Une réflexion est à conduire sur l’accueil en Angleterre, car la France se comporte bien.
Il convient de favoriser un règlement européen dans son ensemble et de développer une solidarité, inévitable en Europe.
Informer les opinions publiques (mais les États sont aussi soumis aux partis).
Le rôle des églises et des opinions publiques est capital.
Nous sommes face à une belle leçon d’humanité.
Synthèse proposée par Thérèse Lebrun,
Président-Recteur délégué,
Université Catholique de Lille
Avril 2016
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